Interview de Yann Cucherat “La technologie est un socle essentiel de la performance des athlètes”
Dans le cadre du Sport Unlimitech Tour, qui abordera la thématique du Sport Performance à Lille les 15 et 16 septembre 2022, Yann Cucherat, nommé Expert Haute Performance à l’Agence Nationale du Sport a accepté de répondre à nos questions sur la performance et l’innovation.
Yann, tu as rejoint récemment l’Agence Nationale du Sport en tant qu’expert Haute Performance, Quelles seront tes missions au sein de l’Agence ?
J’ai rejoint l’agence début Septembre donc c’est un peu neuf. L’ANS a vocation à améliorer les performances des athlètes pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, elle a été constituée pour ça, c’est l’événement planétaire par excellence. Cependant, Paris 2024 n’est pas une finalité, c’est un accélérateur qui va nous aider à repenser le modèle du sport de haut niveau qui avait vécu une grande transformation avec les JO de Rome en 1960 puis l’arrivée des Professeurs d’EPS dans les années 80. Ce modèle est sans doute arrivé en bout de course, et même s’il y a encore de bons résultats, pour rester en contact avec la concurrence, il est nécessaire de le faire évoluer. C’est le propre de la haute performance de toujours se remettre en question.
Ma mission est de décliner toute cette stratégie de refonte nationale à l’échelle des territoires. Dans cette optique, nous avons créé les maisons régionales de la performance, intégrées dans la grande majorité des cas sur des CREPS. Ils deviennent des guichets uniques au services des athlètes et de leurs entraîneurs. Les équipes territoriales qui composent ces Maisons Régionales de la Performance développent des réseaux et créent des “catalogues de solutions” à destinations des sportifs de haut niveau.
En d’autres termes, nous voulons répondre aux enjeux quotidiens des athlètes, de leurs entraîneurs, et des structures d’accession pour les rendre plus performants.
En vue de Paris 2024, Tony Estanguet doit livrer les Jeux, le cœur de la mission de l’ANS et celle que je pilote est d’améliorer les performances des athlètes.
Quelles transformations dans l’organisation du sport français envisages-tu ?
Nous ne voulons pas tout réinventer, nous voulons consolider l’existant. L’ANS a identifié 4 axes dans le dispositif « Ambition Bleue » pour améliorer la performance des sportifs Olympiens et Paralympiens :
- L’optimisation de la performance et du suivi médical
- Le suivi socioprofessionnel des athlètes
- L’analyse de la performance
- La montée en compétences de l’encadrement
Par exemple, pour étoffer le réseau existant, nous prévoyons de créer des passerelles avec les clubs professionnels. Auparavant, les clubs professionnels travaillaient essentiellement avec leurs équipes et quelques athlètes parmi les plus brillants. Ce sera un moyen de proposer aux athlètes des outils de récupération, de réathlétisation, ou autres dispositifs de manière immédiate car Paris 2024, c’est déjà demain.
En termes de data, nous avons identifié une vraie inégalité selon les fédérations ou les athlètes. Il existe beaucoup d’outils pour améliorer sa performance ou analyser celle des adversaires. Ce n’est pas encore un réflexe pour tous, et nous voulons les accompagner dans cette évolution.
Entre l’Etat, l’ANS, les Fédérations, ou les CREPS, crains-tu des mésententes entre ces multiples acteurs du sport français ?
Nous sensibilisons nos responsables régionaux pour que toutes nos actions soient coordonnées avec les acteurs concernés. Nous avons de bons rapports avec les DTN et entraîneurs en responsabilité et je m’efforce de le préserver.
Les projets de performance appartiennent aux fédérations. A notre niveau, nous les accompagnons. Nous signons avec elles des contrats de performance et subventionnons ces projets. Nous apportons une plus-value spontanée en fonction des besoins immédiats identifiés. L’action de l’ANS n’est pas une strate supplémentaire, elle met en place une stratégie et accompagne tous les acteurs impliqués pour favoriser l’atteinte des objectifs communs fixés.
Les résultats à Tokyo ont été déséquilibrés selon les fédérations, quelles solutions sont envisageables pour éviter les mêmes écarts pour Paris 2024 ?
Les résultats aux Jeux Olympiques de Tokyo n’ont pas été à la hauteur des attentes malgré des belles réussites, notamment les sports collectifs. Mais pas que ! Concernant les Jeux Paralympiques, les résultats sont en très nette amélioration.
Par contre, il est vrai que généralement les nations qui vont accueillir les JOP chez eux, voient une progression de leurs résultats sur l’olympiade précédente. Ce ne fût pas le cas lors de Tokyo. Cela s’explique par notre modèle qui aurait dû évoluer plus tôt. Nous devons profiter de l’accélérateur que peut être Paris 2024 pour revoir notre modèle dans la durée en vue des échéances de 2026, 2028, etc.
Un des enjeux majeurs sera de favoriser la culture de la “gagne” au sein du quotidien des athlètes et entraîneurs.
Comment orienter l’investissement Haute Performance pour que les nouveaux outils soient plus efficaces ?
Je pense qu’il faut resserrer nos collectifs pour cibler les moyens sur les gros potentiels. C’est un constat que je faisais déjà à la Fédération Française de Gym et qui est partagé par beaucoup de structures, notamment dans la majorité des Maisons régionales de la performance. Notre modèle nous offre beaucoup de structures, beaucoup de sportifs sont identifiés comme étant de haut niveau, mais peut-être trop. Et cela a amené à trop éparpiller les moyens.
Les outils de performances évoluent. Même si cela n’est pas exclusif, il y a une forte volonté de s’inscrire dans cette dynamique notamment en termes de profilage, de suivi de la performance, ou gestion de la charge d’entraînement pour éviter les blessures. Ces outils deviennent un socle de travail pour les sportifs et leurs structures. A cela s’ajoute également les nouvelles technologies qui permettent de faire évoluer les matériels sportifs.
Avec la perspective Paris 2024, est-ce que tu ressens un élan partagé pour le partage des compétences, notamment entre clubs professionnels et athlètes ?
C’est le sens du projet « Team Ambition Bleue » piloté par Jean-Marc Lhermet. Avec Claude Onesta et Jean-Marc, ainsi que toute l’équipe de l’Agence, nous voulons embarquer tous les acteurs du sport français au sein d’un réseau commun. Je suis convaincu que les clubs professionnels y trouveront un intérêt. Mes expériences et collaborations avec le Lou Rugby, l’Asvel ou l’Olympique Lyonnais me confortent dans cette idée. Je suis persuadé que les clubs professionnels français seront volontaires pour participer à la réussite de Paris 2024 et plus largement de l’olympisme et du paralympisme. Les Jeux sont une marque qui fédère tout le monde, toute une nation.
Pendant 3 ans, nous devons saisir toutes les opportunités de mieux implanter le sport dans notre société, d’augmenter le nombre de pratiquants, et d’améliorer les résultats sportifs, et ce pour les 20 prochaines années. Le sport est un formidable levier pour répondre aux maux de notre société. Sachons le porter !
Sport Unlimitech c’est justement une de ces opportunités de faire progresser le sport français ?
Je me suis toujours battu pour donner au sport sa vraie place dans la société, et à chaque fois le sport se retrouve relégué cinquième roue du carrosse, position illustrée par sa place dans les budgets des politiques publiques.
Mais l’initiative de Sport Unlimitech de prendre le champ du sport par une dimension moderne et innovante permet au sport d’exister dans le paysage sociétal en lui offrant une nouvelle voix. Le Sport Unlimitech Tour, par essence itinérant, touche les territoires nationaux et fédère autour de ce sujet, et en ce sens, Sport Unlimitech apporte sa pierre à l’édifice, y compris en vue des grands événements à venir.
C’est l’opportunité pour moi d’envisager des cohabitations notamment avec les Maisons régionales de la performance. Nous essayons d’apporter de la modernité pour la performance, et avec Sport Unlimitech nous sommes donc alignés sur les mêmes enjeux.
Propos recueillis par PJ.